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đź“– Critique du livre de Philippa Motte "Et c'est moi qu'on enferme"

 Ce livre de Philippa Motte est sorti chez Stock le mois dernier ! Il me tendait les bras mais comme j'expĂ©rimentais un Ă©pisode 'maniaque' qui s'est littĂ©ralement Ă©vanoui avec mon opĂ©ration chirurgicale et des sĂ©quelles, je l'ai ouvert il y a seulement quelques jours ! Ce livre m'a happĂ©e tout entière. Je revivais mes propres expĂ©riences de l'enfermement en psychiatrie et de la violence institutionnelle Ă  chaque page que je tournais !

Philippa Motte écrit bien, même très bien, comme un souffle qui vous traverse, qui vous emporte dans cet univers que seuls les patients et les soignants connaissent. En effet, les proches en visite ne voient que des êtres fracassés et se font des idées sur les soins loin de la réalité !


J'aimerais vous partager cette citation à la fin de cette histoire poignante qui m'a particulièrement touchée : « Je dédie ce texte à tous ceux qui croient que le chemin est droit et qu’il n’y a qu’une seule façon de le tracer. Je dédie ce texte aux normés qui pourraient voir leur carcan se fissurer. Aux cabossés, aux damnés, aux psychiatrisés. Je dédie ce texte aux guerriers, aux soldats, aux traumatisés. À ceux qui ont été enfermés.»


L'autrice ne fait pas que raconter comme nombre de nos pairs qui racontent leur histoire en mode biographie, non, elle décrit par exemple la "couleur jaunâtre des murs craquelés et le sol beigeasse carrelé" qui participe à l'ambiance angoissante du lieu !


Elle dĂ©crit l'Ă©tat de sidĂ©ration dans lequel on est plongĂ© dès l'arrivĂ©e en Ă©tat dĂ©lirant, le placement violent en salle d'isolement. Elle raconte l'immobilisation du corps Ă  l'aide de sangles, les injections de tranquillisants jusqu'Ă  ce qu'on se soit "calmĂ©". Et puis, il y a la peur alimentĂ©e par les dĂ©lires ! Et la sensation d'ĂŞtre dĂ©sorientĂ© lorsque la porte s'ouvre ! 

Philippa Motte parle des "potes", enfin des compagnons d'infortune avec lesquels elle partage sa vie pour un temps et ses espiègleries ! Voici comment elle les dĂ©crit avec tendresse : « J’apprends Ă  aimer leurs gueulantes et leurs excès. J’apprends Ă  ne pas m’offusquer de leurs insultes et Ă  apprĂ©cier leurs mots tendres. Je suis vite frappĂ©e par une forme d’authenticitĂ© et de gĂ©nĂ©rositĂ© que je n’ai observĂ©e nulle part ailleurs. J’en viens Ă  me rĂ©jouir qu’ils ne soient pas comme il faut, qu’ils n’en aient rien Ă  foutre. Je me dĂ©couvre capable de faire abstraction de certains visages laids et dĂ©figurĂ©s, d’être touchĂ©e par leur tristesse et leur dĂ©sespoir. Je ne comprends pas bien pourquoi, mais c’est un fait, quelque chose en eux me touche comme jamais personne ne m’a touchĂ©e auparavant. Peut-ĂŞtre parce que je suis dĂ©traquĂ©e comme eux. Peut-ĂŞtre aussi parce que l’épreuve de la folie et de la grande souffrance psychique ouvre un champ de l’être qui contient une part de sa dimension vĂ©ritable.»


Et puis, l'autrice se penche sur les pouvoirs des psychiatres, les maîtres des horloges, ceux qui décident des mesures d'enfermement, des "punitions" si l'on "désobéit" ou qu'on est trop virulent, des choix des traitements, des dosages, des autorisations de sortie dans le jardin par exemple, ce sont eux qui font la "loi" ! Parfois des internes plus jeunes qu'elle ! Et ce jusqu'à ce qu'ils décident qu'ils ont besoin de faire de la place à d'autres "damnés" et qui vous font sortir sans explications avec une ordonnance en guise de pacte.


Tout ceci s'est passé il y a plus d'une dizaine d'années par trois fois ! À chaque fois, c'est son père qui signait les HDT. Et elle leur en voulait Philippa à ses parents ! Elle les détestait, les insultait lorsqu'elle était hospitalisée. Eux, ils surfaient la "vague" avec beaucoup de bienveillance ce qui n'est pas toujours le cas, en tout cas pas dans mon expérience !


Comme pour toutes les personnes souffrant de bipolaritĂ©, Philippa expĂ©rimente la dĂ©pression. Elle dĂ©crit le cycle infernal comme ceci : « La souffrance de la dĂ©pression est pire que celle de la folie – mĂŞme s’il n’est pas pire dĂ©pression que celle engendrĂ©e par le contrecoup de la folie. La folie fait peur au monde extĂ©rieur, mais elle est vivante. C’est une puissance Ă  la fois crĂ©atrice et dĂ©vastatrice, mais elle est mouvement. Le fou se perd dans des extrĂŞmes, mais au moins il sent, il vit, il goĂ»te, il jubile mĂŞme parfois. Le dĂ©pressif, lui, n’est que douleur. Il est enfermĂ© dans les bas-fonds de lui-mĂŞme, dans une cave profonde et noire dont il ne soupçonnait pas l’existence avant d’y ĂŞtre projetĂ© par la dĂ©solation absurde qui le dĂ©vore.»


Voilà, s'ensuivent des mots, des envolées lyriques de la "Guerrière", son double qu'elle appelle ainsi qui vit une expérience mystique, et dont tous les sens exacerbés voient la beauté du monde en mode "augmenté" !


La fin est pleine d'espoir et d'énergie ! Je vous laisse découvrir ce petit bijou d'écriture !


Marie Agnès alias Bipolaire On Air


#psychiatrie #troublespsychiques #littérature


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