Ce qui est arrivé à ma fille Millie en 2015 !
Millie avait 26 ans et vivait à l'époque en coloc à Strasbourg. Elle avait fait une bouffée délirante aiguë à l'âge de 20 ans en Angleterre où elle faisait ses études. Elle avait été hospitalisée et son humeur fluctuait. Pas de diagnostic précis. Le psychiatre libéral qui la suivait avait évoqué une cyclothymie. Millie s'était donc renseignée sur Google et avait lu que c'était une forme de bipolarité. Elle était en choc ! Puis les choses se sont enchaînées. Elle a formellement été diagnostiquée à l'hôpital puis moi aussi dans la foulée !
Millie sortait beaucoup en boîte de nuit à l'époque. Elle s'alcoolisait et vomissait les nombreux médicaments prescrits : carbamazépine, haloperidol, cyamémazine, topiramate, quiétapine et bromazepam.
Peu de temps après, elle a commencé à délirer et avoir des hallucinations visuelles et auditives. Son père et moi l'avons donc fait hospitaliser aux HUS à Strasbourg en psychiatrie.
Au bout de quelques jours alors qu'elle n'arrivait plus à former des mots compréhensibles et titubait, les médecins lui ont fait passer une série d'examens du cerveau. C'est à ce moment-là qu'on nous a appelés en disant que les examens avaient révélé une anomalie au cerveau de Millie. Difficile de décrire ce que nous avons ressenti ! Ma fille ? Mon amour, la chair de ma chair ! Non je ne veux pas la perdre ! Ma raison de vivre !
Nous nous sommes rendus à l'hôpital. Ils avaient fait transférer Millie à l'hôpital de Hautepierre en médecine interne pour faire des examens approfondis, ponction lombaire et autres. La psychiatre a été sincère et nous a dit qu'on ne savait pas à ce stade s'il s'agissait d'une tumeur maligne ou autre chose. Vous savez, en général les médecins se veulent rassurants. Eh bien là , pas du tout, la psychiatre en nous annonçant cela, était livide ! Au niveau du traitement psychiatrique, elle nous a dit qu'ils avaient tout arrêté sauf la quiétapine et qu'ils tentaient le lithium. Pour conclure, elle nous a dit qu'on nous tiendrai informés...
Le père de Millie et moi sommes sortis de l'hôpital en choc ! Les jours suivants, nous avons annoncé la nouvelle à la famille, aux amis et aux collègues de travail. Tout le monde était atterré !
Nous avons pu rendre visite à notre fille dans le service de la médecine interne. La médecine interne est une spécialité médicale. Elle s'intéresse au diagnostic et à la prise en charge globale des maladies de l'adulte avec une prédilection pour les maladies systémiques et les maladies auto-immunes en général.
Le médecin chef nous a expliqué qu'ils avaient éliminé la piste d'une tumeur maligne et qu'il s'agissait d'un œdème au corps calleux. Le corps calleux est une sorte de pont reliant entre elles les moitiés (hémisphères) gauche et droite du cerveau et permettant le passage de l'information d'un côté à l'autre. Le bilan auto-immune était négatif.
Il nous a dit qu'ils cherchaient à comprendre les raisons. Au bout de 3 semaines en médecine interne, Millie commençait à aller mieux et nous avons reçu un rapport disant que la lésion au niveau du corps calleux était probablement du à l’arrêt brutal de la carbamazépine. Il s’agissait du premier cas en France et que seulement 5 cas dans le monde avaient été recensés ! Mais bonne nouvelle, la lésion était en régression et aucun traitement ne s'avérait nécessaire en l’absence de symptômes. Nous étions soulagés après tous ces jours d'angoisse extrême !
Millie était retournée en psychiatrie puis ressortie après quelque temps. La quétiapine et le lithium n'avaient pas montré d'efficacité sur ses troubles de l'humeur. Elle avait continué de travailler comme secrétaire commerciale mais éprouvait de grandes difficultés de concentration. Finalement, elle avait été mise en invalidité et placée sous curatelle renforcée afin d'éviter l'hémorragie financière due aux dépenses inconsidérées, symptôme de la phase maniaque. Un diagnostic de schizoaffectivité avait été évoqué par les médecins. Le trouble schizoaffectif est une entité nosographique caractérisée par une association de symptômes schizophréniques à des épisodes thymiques. En 2019, Millie est tombée enceinte et les médecins ont introduit la clozapine qui a permis de stabiliser son état psychotique et d'entrevoir un avenir plus serein. Elle souffre d'anxiété chronique mais les évènements récents de sa vie y sont pour quelque chose. Son fils, son amour est la lumière de sa vie ! ❤️
Autrice : Bipolaire On Air
#corpscalleux #psychiatrie #bipolarite #troubleschizoaffectif
Voici l'article scientifique qui avait été rédigé au sujet de ce qui était arrivé à Millie :
Le syndrome de lésion réversible du corps calleux (RESLES) : une cause rare d’hallucinations d’origine médicamenteuse
Author links open overlay panelV. Debien 1, M.C. Dalmas 1, M.C. Taquet 1, C. Maire 2, S. Weibel 2, J.L. Dietemann 3, B. Goichot 1
Introduction
Les lésions du splénium du corps calleux sont responsables de manifestations cliniques variées. Les étiologies du RESLES pour reversible splenial lesion syndrome sont nombreuses. Il peut s’agir de troubles métaboliques, de maladies démyélinisantes, de pathologies infectieuses et également de causes toxiques. Des cas de RESLES survenant sous traitement antiépileptique ou à l’arrêt sont décrits. Nous rapportons un cas de RESLES chez une jeune femme bipolaire.
Observation
Il s’agit d’une jeune femme de 26 ans, atteinte d’un trouble bipolaire, initialement traité par carbamazépine, haloperidol, cyamémazine, topiramate, quiétapine et bromazepam. Elle est hospitalisée en psychiatrie pour réévaluation de son traitement de fond. À l’admission, la patiente présentait des hallucinations visuelles et auditives, une sensation d’irréel et une anosmie, motivant la réalisation d’une IRM cérébrale. Celle-ci montrait la présence d’une lésion du splénium du corps calleux isolée, caractérisée par un aspect en demi-lune pratiquement symétrique avec un hyper signal T1 bien limité, une restriction de diffusion et l’absence de prise de contraste après injection du gadolinium. La prise en charge psychiatrique a consisté en l’arrêt du traitement antérieur. Seule la quiétapine a été poursuivie et un traitement par lithium a été introduit. La patiente décrivait une nette amélioration sous Lithium avec disparition des hallucinations. L’examen clinique et en particulier neurologique était normal, on ne retrouvait pas de point d’appel infectieux. Une pathologie maligne a été éliminée par la réalisation d’un TDM thoraco-abdomino-pelvien. Le bilan auto-immun était négatif, il n’y avait pas de troubles hydro-électrolytiques ni de syndrome inflammatoire. L’analyse du LCR était normal en dehors d’un protéinorachie à 0, 68 g/L, la culture était négative, l’examen histologique ne retrouvait pas de cellule néoplasique, absence également de synthèse intrathécale des immunoglobulines. À l’EEG on constatait une minime prédominance hémisphérique droite de quelques éléments lents.
L’absence de lésion démyélinisante sur l’IRM cérébrale et médullaire a permis d’écarter une pathologie démyélinisante type acuite disseminated encephalomyelitis (ADEM). L’IRM cérébrale de contrôle, à j18, a montré une régression quasi-complète de la lésion du corps calleux. Aucun traitement n’a été introduit en l’absence de symptômes.
Discussion
La présence d’une lésion isolée du corps calleux dans un contexte de polymédication par psychotropes et la régression en moins de 3 semaines fait évoquer une origine toxique. On retrouve dans la littérature quelques cas de RESLES sous traitement antiépileptique et en particulier sous carbamazépine ou à l’arrêt de ce traitement. Nous imputons donc l’arrêt brutal de la carbamazépine. Il s’agit du premier cas dans la base de la pharmacovigilance nationale.
La physiopathologie de ces lésions réversibles du splénium du corps calleux n’est pas très claire. Le plus souvent c’est un phénomène d’œdème vasogénique qui est évoqué. La carbamazépine augmente l’activité diurétique de la vasopressine, donc son arrêt brutal diminuerait cette activité créant ainsi un déséquilibre hydrique local responsable de l’apparition d’une lésion au niveau du corps calleux. La présence d’une restriction de diffusion à l’IRM conforte cette hypothèse. L’autre mécanisme évoqué serait des dysnatrémies sous carbamazépine, ce qui n’était pas le cas de notre patiente.
Conclusion
Devant la mise en évidence d’une lésion isolée du splénium du corps calleux il faut penser à une cause toxique comme la carbamazépine. Cette lésion est régressive en quelques semaines et aucun traitement n’est nécessaire en l’absence de symptômes.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0248866315008711
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