Est-ce que tu m'entends ?
Moi je sens ta présence tous les jours
Forcément quand je prends mes cachets
Maman je regrette de n'avoir pas su t'aimer
Tu me disais souvent
Tu verras quand je ne serai plus là
Tu me trouveras à dire
Désormais tu brilles par ton absence
J'ai envie de croire à la protection des ancêtres
Même si c'est scientifiquement non prouvé
Pourquoi je dis ça
Parce que je suis en train d'atteindre l'âge auquel maman est décédée
C'est un véritable miracle d'avoir réchappé aux multiples prises de risques depuis mon adolescence
Alors se peut-il que ma mère veillait sur moi comme un ange
J'ai une certitude et il y en a peu dans mon histoire
Ma mère est tombée enceinte d'un gitan de passage dans le village lors de la fête foraine estivale
Je l'ai su à l'âge de 7 ans environ par hasard
Le gitan ayant décampé le lendemain
Pour ma mère il ne faisait nul doute qu'il ne reviendrait plus
Quoique l'été dernier, donc 67 ans après ma conception pas très immaculée
J'avais lu dans un minuscule carnet daté des années 70s
Que le type en question lui avait promis de revenir la chercher
Ma mère l'avait attendu sans trop y croire
Puis ses règles s'étaient arrêtées en août
C'était angoissant pour ma mère car être "fille-mère" était considéré comme la honte totale pour la famille
Et offrait peu de perspectives de réjouissance
Ma mère attendit septembre aux vendanges
Pour se faire une raison
Pas question pour elle de me "faire sauter"
Bien au contraire, elle mit tout en œuvre pour cacher sa grossesse
Elle fit tremper comme d'habitude ses serviettes hygiéniques, enfin plutôt des tissus en coton en ajoutant du jus de betterave dans la bassine en fer blanc
Puis elle commença à déchirer des vieux draps en bandes assez longues pour couvrir son ventre qui s'arrondissait de jour en jour
Elle ne pouvait porter de gaine bien sûr mais personne ne remarquait
Les vendanges étaient l'occasion de rigoler avec les cousins et les cousines
Tout le monde aimait Fanchon
Elle aimait ces moments légers, les rires, les chansons, l'odeur des grappes de raisin noir mûres et chaudes que les porteurs de hottes déversaient dans le tombereau au bout du rang
Ma mère était de petite taille avec une forte poitrine qui ne laissait pas les hommes indifférents
Elle avait une taille marquée mais là elle réussissait à cacher ses rondeurs naissantes grâce à une blouse tablier en nylon
Au mois d'octobre, elle serrait un peu plus les bandes
Elle commençait à avoir peur des conséquences de son acte
Mais elle était sûre de sa décision
Elle voulait ce bébé
Elle avait aimé ce jeune homme qui lui avait fait ce cadeau tombé du ciel
Car il n'y avait pas de quoi se réjouir dans la vie de tous les jours
Mes grands-parents l'avaient déjà maintes fois conduite au Centre Abbadie à Bordeaux
Elle y subissait les traitements violents de l'époque d'après-guerre
Lorsqu'elle revenait à la maison
La pauvrette perdait son entrain
Les psychiatres disaient qu'ils essayaient de la "stabiliser"
Ils ne parlaient pas de schizophrénie
Dans la famille ma grand-mère racontait qu'elle avait fait une encéphalite à la suite d'une appendisectomie à 15 ans
Cette histoire semblait contenter la famille
On n'allait pas chercher plus loin
À la fin de l'automne, maman était fatiguée
Et une énième hospitalisation révéla les bandes sur son ventre
Les soignants ont immédiatement prévenu mes grands-parents
Ceux-ci étaient en sidération complète
Et lorsque maman était revenue à la maison
Mon grand-père a sorti la ceinture de son pantalon et l'a battue
Je suppose qu'elle a protégé son ventre avec ses mains en se recroquevillant dans la position du fœtus
Ma grand-mère a finalement réussi à le stopper
Elle hurlait "mais qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu pour mériter ça ?"
Toujours retourner le truc vers elle de manière narcissique
Elle parlait des aiguilles à tricoter pour m'éliminer
Mais ma mère avait tenu assez longtemps pour qu'on ne puisse la faire avorter
On l'a interrogée
Elle a probablement raconté la nuit douce d'un soir d'été où j'ai été conçue
La seule nuit de sa vie où elle aura connu l'amour !
Je suis née dans sa chambre un 31 mars de l'année 1959
Ma mère a accouché dans des souffrances très longues de plus de 12 heures mais bizarrement n'a pas eu les forceps. Le médecin de campagne a attendu la dilatation idéale pour l'encourager à pousser
Lorsque ma grand-mère m'a vue, elle a poussé un cri en même temps que moi
J'étais recouverte de poils bruns et avait la peau sombre
Ma mère était dans un état délirant mais je ne peux qu'imaginer qu'elle était heureuse de m'avoir portée vers la vie
Incapable de s'occuper de moi
Ma grand-mère me mettait au sein de ma mère les premiers mois
Je crois que ma mère aimait bien cette proximité
Puis il a fallu qu'elle soit à nouveau hospitalisée après une décompensation massive
Moi, on m'a passée aux biberons de bouillie
J'ai survécu tant bien que mal auprès de mes grands-parents et de la famille étendue
On m'appelait la noiraude, la gitanous, la romanichelle !
Lorsque j'avais 4 ans. Mes grands-parents ont organisé un mariage de convenance avec un monsieur bourgeois de Paris qui ne pouvait avoir d'enfants et dont la femme avait divorcé. Je ne me suis pas posé de questions. C'était mon père, voilà tout !
Ma mère a continué de fréquenter le Centre Abbadie à Bordeaux puis Garderose à Libourne.
Je vous raconterai la suite une autre fois.
Maman, en écrivant ces quelques mots, je hoquette de chagrin.
Je ressens ta souffrance
Mais je sens surtout ta détermination à me faire vivre
La raison en est peut-être tout simplement l'attachement profond d'une mère à son bébé durant 9 mois
L'autre raison est peut-être à chercher du côté du témoignage
Et de ma décision en 2018 de parler sans tabous de maladies mentales !
Tout ce que j'accomplis maman, je le fais en pensant à toi
Non tu n'as pas souffert pour rien
Tu existes tant que Millie continuera de se battre pour toi à travers sa chaîne Youtube et ses livres !
Repose en paix ma chère maman ❤️
Marie Agnès
#schizophrénie #amourdunemère
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